«La psychologie est l’étude des ajustements créateurs. Son sujet, c’est la transition toujours renouvelée entre la nouveauté et la routine, dont l’assimilation et le développement sont le résultat. Parallèlement, la psychopathologie, c’est l’étude de l’interruption, de l’inhibition ou autres accidents dans le cours de l’ajustement créateur… (et) les différents caractères névrotiques (sont) comme des structures stéréotypées limitant la souplesse du processus d’adaptation créatrice à la nouveauté». 2
Ce qui a d’abord été nommé par les fondateurs de la gestalt-thérapie interruption de contact prendra au fil du temps différentes appellations:
- perte de la fonction moi
- modes de fixation des phénomènes de frontière
- modalités maladroites de contact
- ajustement obsolète
- évitement de la nouveauté
- fléchissement du contact
- mouvements du champ et de leurs flexions
Cette évolution du concept reflète l’évolution de la théorie de la gestalt-thérapie qui témoigne d’un changement de paradigme: passage du paradigme individualiste, causaliste au paradigme holistique de champ . Le sujet ne sera plus alors considéré comme étant «fondamentalement le produit de son histoire» … «au travers d’un fonctionnement en un mode-moi enraciné dans la fonction personnalité»,3 mais sera appréhendé dans «cet indifférencié toi et moi et la situation» ou ça de la situation qu’il s’agira «de démêler dans une individuation sans cesse à reprendre, à mesure que se transformera la situation» 3.
1- JM Robine Cahier GT N°19
2- PHG p 54
3- JM Robine Cahier GT N°19
Ajustement conservateur hors awareness et ajustement créateur dans l’awareness
Ainsi, quand «le comportement névrotique (devient) une habitude acquise, (il signe) le résultat d’un ajustement créateur… (cependant) comme les autres habitudes assimilées, il n’est plus contacter» 1. Il est hors awareness et devient finalement un ajustement conservateur inscrit dans le physiologique. Et le processus de contact représente alors le passage «d’un système d’ajustements conservateurs (physiologie) à un système d’ajustements créateurs (psychologie)» 2.
Et c’est «ce processus, qui naît de l’excitation (physiologique) et qui va engendrer l’activation du processus figure-fond du cycle de contact»2.
La séquence de contact est donc «une séquence continue de figures et de fonds, chaque fond se vidant de son énergie pour l’investir dans la figure qui se forme et qui à son tour, s’efface devant une autre figure»2.
Mais l’interruption de cette séquence dénote une fermeture de «l’entre-jeu organisme/environnement»2. Et, ce sont ces différents moments de fermeture dans la séquence de contact que nous allons étudier.
Les flexions
En tant que gestalt-thérapeute, j’aurai à repérer ces différents moments de flexion pour pouvoir soutenir mon patient de façon spécifique. Et j’aurai à orienter mon soutien soit côté Créativité si mon patient a une fonction personnalité trop prégnante avec de nombreux introjects qui lui restent en travers de la gorge ou sur l’estomac, ou qui lui oppressent la poitrine. Ou au contraire j’aurai à orienter plus côté Normativité comme par exemple chez un border-line qui manque de bord, de contenant, tout en sollicitant la fonction moi au bon moment… mais tout cela est très subtil et demande, je le sens bien des années d’expérience.
Par souci didactique, je vais expliciter les différentes séquences de contact, leurs flexions et leur soutien spécifique tout en tentant de voir ce qu’il en est de la tension entre les pôles Créativité et Normativité. Ce travail participe à la constitution de mon fond sécuritaire de Gestalt-thérapeute. Il m’apprend à devenir «critique d’art» ou «critique littéraire» 3 et à me différencier ainsi d’une quelconque position médicale.
1- PHG p279
2- JM Robine construction de soi p68
3- JM Robine Cahier GT N° 19
Revenons maintenant à nos repères gestaltistes pour baliser notre parcours:
Au pré-contact:
«le corps est le fond et son besoin ou stimulus environnemental est la figure ;c’est le donné ou la ça de l’expérience»1 ou le ça de la situation.
Là, «les besoins, désirs,appétits, pulsions prennent forme à l’intérieur de la peau grâce au self dans ses fonctions ça. Fonction physiologique, certes, mais «aucune fonction ne peut ultimement continuer à le faire sans assimiler quelque chose de l’environnement ou mourir»2. Il lui faudra donc «aller vers et prendre», c’est-à-dire «contacter l’environnement et prendre de la nouveauté»3.
Ici, l’interruption de contact est la confluence. Là, il y a émergence d’un besoin et en même temps blocage de ce besoin. L’organisme ne réussit pas à se séparer de la situation dans laquelle il se trouve. Il y a une sorte de phobie de l’autonomie, un manque de différenciation organisme/environnement. L’organisme perd ses repères et n’a pas le sens de sa propre direction.
La confluence:
Désigne l’état de non contact, par exemple quand il y a «un cramponnement à la satisfaction d’un comportement achevé et comme si la nouvelle excitation allait vous l’enlever. C’est l’empêchement à ce que du nouveau surgisse dans le champ en privilégiant la fixation à la situation antérieure.»4.
Là, la personne s’accroche à de l’ancien et cette fixation est vraiment au «niveau le plus rudimentaire, le plus infantile», au niveau du «téter, chaleur, contact»4
On peut dire que les habitudes névrotiques ont leurs «racines dans la confluence»4
et sont devenues une seconde nature, quelque chose qui s’est inscrit dans le corps, dans du physiologique, quelque chose qui échappe totalement à l’awareness.
Il est clair que lorsque le patient reste bloqué à ce niveau, on peut imaginer qu’il y a chez lui beaucoup à détruire. Il sera nécessaire de favoriser la différenciation organisme/environnement, aider le patient à accepter la rupture de la symbiose, l’amener à faire l’expérience de la confluence saine, celle qui peut offrir soutien, qui permet l’autonomie et fait grandir.
1- PHG p279
2- JM Robine Construction de soi p 68
3- idem p69
4- B. Lapeyronnie La confluence. L’exprimerie
C’est à la mise en contact que la fonction moi peut être judicieusement mobilisée.
A la mise en contact:
«Le self… en acceptant le donné et y trouvant sa puissance, continue à s’approcher, à estimer, à manipuler etc… une série de possibilités objectives ; il est actif et délibéré à l’égard du corps comme de l’environnement: ce sont les fonctions-moi»1. A ce stade-là, la gestalt a commencé à prendre forme, «elle provoque une excitation qui énergétisera le fond de façon à ce qu’une nouvelle figure se forme… la sensation, figurale dans la phase de pré-contact, passe en arrière-plan, énergétise le fond, ce qui permet une nouvelle figure qui cette fois se situe du côté externe de la frontière-contact»2. L’environnement devient la nouveauté. Et «ce mouvement de retour vers le fond et d’émergence d’une nouvelle figure, c’est l’excitation» 2. Et l’immobilisation de l’excitation est à la base de l’angoisse. C’est le moment, où le self par l’intermédiaire de ses fonctions moi va pouvoir identifier, aliéner, choisir, rejeter, dire oui, dire non aux diverses possibilités de l’environnement.
A ce stade, la flexion de l’excitation est l’introjection. Introjeter, c’est avaler tout rond sans avoir assimilé. Là, il y a un besoin identifié, mais pas de soutien de l’environnement, alors à la place, il y a concentration sur du vide. Pour combler ce vide, la personne fait appel à du connu, à des introjects, pour comprendre ce qui se passe et cela bloque l’énergie liée au besoin, cela bloque l’excitation.
1-PHG p279
2- JM Robine Construction de soi p69
Il s’agira alors de faire émerger l’excitation liée à l’identification du besoin en stimulant la saine agressivité, en redonnant des dents au patient et une capacité à manipuler l’environnement afin que l’énergie recircule. L’agressivité est alors envisagée «comme un des pivots du processus de l’introjection mettant en jeu les pouvoirs de l’organisme et la nature des matériaux ingérés. Ces derniers constituent les introjects qui doivent être mâchés, mastiqués, dé-structurés.» 1.
L’introjection et la posture de recul
Oui, mâcher, mastiquer, dé-structurer pour assouplir la fonction personnalité, redonner du mouvement à toutes les généralisations, aux introjects du style
«il faut que je..… je dois… je devrais… j’aurais du… ».
De toute évidence, le thérapeute doit reculer dans le fond pour favoriser l’inversion du processus de façon à ce que le patient puisse vraiment prendre sa place. Ici, je ne cherche pas à expliquer, ni à commenter, ni à interpréter, surtout pas à nourrir, sinon il peut y avoir risque que cela soit avalé tout rond par le patient. Il s’agit vraiment de donner du soutien au besoin émergeant du patient de façon ce qu’il puisse vivre sa reliance à l’environnement comme un soutien et non comme un vide angoissant.
1- Alain Badier. L’introjection. L’exprimerie
Dégoût et vomissement
Dans la mise en contact, il est nécessaire que la gestaltung, la formation de forme permette la rencontre organisme-environnement. Pour cela, la fonction moi doit opérer des choix et des aliénations de façon à ce que l’environnement puisse lui-même répondre au processus engagé. Une façon de couper le contacter avec l’environnement est de projeter, de prendre quelque chose de soi (valeurs, pensées, expériences) et de l’attribuer à quelque chose d’autre, à quelqu’un d’autre.
«Le besoin a bien émergé, l’énergie a bien été identifiée mais il y a une peur, non de son propre vide, mais de l’incapacité à contenir son énergie»1, alors ça bloque.
Or pour sortir de l’enfermement, du cercle vicieux de la confluence maintenu par l’introjection, le thérapeute aura à soutenir chez le patient la figure du dégoût et /ou de l’envie de vomir.
«Pour se débarrasser des introjects qui sont constitués en grande partie des modèles parentaux, des normes de la société, des souvenirs refoulés, il faut vivre le dégoût, expulser, revomir ces matériaux pour les trier et jeter»2.
En vivant l’expérience du dégoût et du vomissement des matériaux inassimilables par son organisme, le patient se libère d’un corps étranger toxique qui l’empêchait de grandir. Et en même temps que le pôle Créativité en mode Ça se défait des surcharges encombrantes, donc inutiles le pôle Normativité en mode personnalité s’allège tout en se consolidant. Ce qui était tension intolérable devient tension juste et mouvement vers la nouveauté.
1- M Spagnuolo-Lobb: soutien spécifique pour chaque interruption de contact p15
2- A. Badier. L’introjection p 50
Puis, à la mise en contact, vient une deuxième flexion de type projectif .
La projection, c’est quand il n’y a pas d’information et qu’on bouche ce trou avec une certaine information le plus souvent déformée. En fait, on bouche les trous de l’information car on ne supporte pas l’absence d’information . C’est en fait les sensations qui font peur, la fonction ça semble un danger, aussi la créativité ne peut œuvrer, la nouveauté ne peut apparaître car tout est rabattu sur du connu, sur du normé. La fonction personnalité règne souverainement, le pôle Normativité se fige fortement et donne l’illusion de pouvoir contenir, contrôler l’environnement mais en fait, il y a «dans cette phase une grande énergie et peu de structure»1.
Il s’agira de «fournir à l’organisme un espace, un contenant approprié afin qu’il parvienne à adapter la perception de ses frontières à la perception de son énergie propre… fournir un contenant (de ses) sensations»1.
Dans cette phase, c’est vraiment la fonction de contenance du thérapeute qui va offrir au patient la sécurité nécessaire qui va permettre au patient «de croître jusqu’à ses propres frontières», ainsi il pourra vivre «l’environnement comme un soutien et non pas exclusivement comme une source de continuelles demandes de performances»1. En fait, il s’agit que le patient puisse demeurer «dans un contact nourricier avec le thérapeute»1.
1- M. Spagnuolo-Lobb: un soutien spécifique pour chaque interruption de contact.
Puis enfin, un autre fléchissement de contact à ce stade de la séquence est la rétroflexion.
La source jaillissante de créativité est rabattue par une fonction personnalité rigide sur le pôle normativité plus ou moins «bétonné». Là, «le besoin a été identifié et l’excitation a dirigé l’organisme à son but ; l’organisme est prêt à l’action, au contact ; (mais) si à ce moment-là le soutien vient à manquer, l’organisme s’arrête et s’oriente vers lui-même»1. L’organisme «dirige sur lui-même une action dont le destinataire aurait à être situé dans l’environnement, comme s’il faisait rebondir son acte sur un mur invisible le séparant de l’environnement (alors que le contacter l’environnement exige conflit et destruction. La rétroflexion permet l’évitement de cette dynamique et conflit et destruction sont dirigés vers l’objet le plus immédiatement disponible: le self» 2.
1- PHG p 206
2- JM Robine. Construction de soi p 71
Le patient se sentant exclu de l’environnement, il convient de favoriser chez lui
« une expérience de confluence saine (possibilité de se confier à l’environnement) en surmontant le phobie du lien et la peur d’être humilié»1, notamment en lui permettant de poser lui-même des questions, d’oser faire des demandes.
L’important, c’est qu’il se sente accueilli dans l’ouverture, sans aucune attente spécifique de l’environnement. Ainsi, petit à petit, il va pouvoir retrouver la confiance en l’environnement, il va sentir que l’environnement peut prendre soin de lui sans qu’il encoure un quelconque danger, sans qu’il ait «l’impression d’être coincé»1. Mais au contraire, il va apprendre à pouvoir respirer de plus en plus large.
A ce moment-là, j’essaie de laisser un espace d’ouverture tout en maintenant le dialogue jusqu’à ce que le patient puisse vivre la rencontre comme une possible co-création. Il peut alors vivre l’environnement non comme un mur de séparation mais comme une dynamique. L’environnement n’est plus la norme étouffante qui faisait peur et rabattait l’énergie sur l’organisme mais il devient Normativité, c’est-à-dire la juste limitation qui autorise le plein épanouissement de la créativité et fait accéder à de la nouveauté.
1- M Spagnuolo-Lobb: un soutien spécifique pour chaque interruption de contact
Vient ensuite le temps de l’assimilation et de la croissance qui prennent corps au contact final.
«Dans le contact final, le self est immédiatement et pleinement engagé dans la figure qu’il a découverte et inventée»1.
Les différentes possibilités sélectionnées dans la phase de mise en contact retournent à leur tour dans le fond en donnant de l’énergie au choix final. Le fond peut alors disparaître momentanément au profit de la figure. «La figure représente toute la préoccupation du self, le self n’est rien d’autre que la préoccupation présente: ainsi, le self est la figure»1.
C’est un moment de confluence saine, moment de «dissolution de la frontière-contact organisme-environnement puisque la motion pulsionnelle du contact trouve ici sa pleine réalisation en rencontrant l’objet sélectionnée: moment d’unité figure-fond»2. . L’intention délibérée se relâche, les frontières disparaissent pour donner place à une gestalt claire et vive.
Mais, ce moment de relâchement et de dissolution momentanée des frontières peut provoquer de l’anxiété, alors «le self se préoccupe de ses frontières et de son individuation au lieu du matériel contact: c’est l’égotisme. Grâce à la fixation et à l’isolation, le self ainsi s’auto-contrôle et évite de se nourrir du contact» 2.
Le patient sait. Il peut donner l’impression d’une grande force cependant sa fonction personnalité est fermement rigide et lui ferme l’accès à une véritable créativité. Il est dans la posture de celui qui tient les rennes et ne veut pas les lâcher.
1- PHG
2- JM Robine. Construction de soi, p 71
D’un point de vue théorique on peut dire que «dès que le contact final a commencé, l’organisme se retire avant d’arriver à la satisfaction, voilà pourquoi il ne parvient pas à apprendre de l’expérience.»1.
Avec ce genre de patient, le thérapeute peut penser avoir fait un très bon travail, «C’est le cas des patients parfaits qui ne changent jamais tout en collaborant et en se laissant aller- jusqu’à un certain point – à l’expérience du contact.»1, cependant, rien ne change.
Il s’agira de faciliter «la spontanéité du processus d’apprentissage dans l’expérience de contact» 1, de «soutenir l’expérience des sensations et des apprentissages qui émergent à la fin de la séance ou immédiatement hors de la pièce»1. Les échanges sur le pas de la porte au moment du départ sont très importants.. Ils sont nécessaires pour l’assouplissement de la
fonction personnalité, nécessaires pour que sensations et apprentissages deviennent chair, que ça vienne nourrir la fonction ça, que la «nourriture» devienne «sang», que le mien devienne un moi face à un toi.
La fonction moi peut alors opérer des choix en terme d’identification ou d’aliénation.
C’est alors que le patient peut occuper sa juste place dans le monde, que son self peut se déployer largement entre Créativité et Normativité.
Après cette panoramique théorico-pratique sur les différentes flexions de contact, il me paraît intéressant d’aller regarder d’un peu plus près ce choc organisme-environnement qu’est l’émotion. Il est l’un des panneaux indicateurs signifiants qui permet le mouvement de bascule dans le travail thérapeutique.
1- M Spagnuolo-Lobb: un soutien spécifique pour chaque interruption de contact.
Publié par: Mme Christine Artiga.
Datos para citar ese artículo:
Robin, Jean Marie. (2014). Les interruptions de contact ou les mouvements du champ et leurs flexions. Irradia Terapia México. https://psicologos.mx/interruptions-de-contact-mouvements-champ-flexions/ [Consultado el ].
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